Coup dur pour le sang artificiel

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Coup double contre le sang artificiel : un article publié dans JAMA conclut que les produits en développement sont associés à des risques sévères et que la FDA a joué un jeu dangereux en autorisant des expériences dont elle connaissait les risques.

Charles Natanson, médecin au service de soins intensifs du centre clinique des NIH, a passé au peigne fin 16 études portant sur près de 4 000 patients et 5 substituts sanguins. Analyse impitoyable : un quasi triplement du risque d’infarctus et une augmentation du risque de décès de 30 %. Pire, les doutes sur la sûreté des substituts sont apparus dès 1996, mais les essais cliniques sont encore en cours ou en préparation, et au moins un substitut (Hemopure de Biopure) est sur le marché sud-africain.

Les produits incriminés sont des dérivés d’hémoglobine développés par cinq compagnies dont deux (Baxter Healthcare et Hemosol) se sont déjà retirées du marché. Les trois autres, Biopure, Northfield Laboratories et Sangart, sont encore actives. Selon les auteurs, une des clés du problème est que la FDA, confrontée à de multiples essais portant sur un petit nombre de patients, n’a pas su ou voulu considérer l’ensemble des travaux. Une telle décision aurait mis en évidence un problème lié à la classe de produits toute entière. Car si les cinq substituts considérés sont différents, ils utilisent tous de l’hémoglobine non confinée par un globule rouge, avec les avantages de pouvoir être conservés à température ambiante et plus longtemps que le sang, et de ne pas être dépendants du groupe sanguin. Mais on sait désormais que cette liberté a un prix, par exemple, quand cette hémoglobine « libre » récupère l’oxyde nitrique présent, au risque de déclencher une cascade d’événements, de la simple vasoconstriction à la thrombose.

William Hoffman, directeur de l’unité de soins intensifs cardiaques à l’hôpital général du Massachusetts à Boston, était directeur médical de Biopure à la fin des années 1990 quand il a eu connaissance de résultats troublants. Il a confié à la chaîne de radio NPR qu’il avait demandé à l’entreprise de suspendre ses essais et que, devant un refus, il a démissionné. La FDA n’est pas en reste qui a continué à autoriser des essais aux risques connus et aux avantages incertains. Les auteurs de l’étude sont sévères « [ces résultats] soulignent à la fois l’inefficacité scientifique et le risque encouru par les patients quand les résultats de recherche ne sont pas connus rapidement. Quand une ‘science secrète’ est permise, les chercheurs ne peuvent pas donner suite aux succès ou aux échecs de leurs collègues et les patients peuvent être exposés à des risques répétés sans aucune nécessité ».

Faut-il être surpris ? La création d’un substitut sanguin satisfaisant est l’un des grands espoirs de la médecine moderne. Dans les centres d’urgence, toujours à court de sang frais et devant se préoccuper du groupe sanguin même quand il faut intervenir au plus vite, un sang artificiel sauverait de nombreuses vies. De même dans des situations où les patients sont isolés, en zone rurale ou sur un champ de bataille. De plus, il représenterait des milliards de dollars de chiffre d’affaires. On imagine donc que cet enjeu considérable a conduit à justifier des risques élevés, dans l’esprit des chercheurs, investisseurs et régulateurs. D’autant que les substituts à base d’ hémoglobine sont aujourd’ hui le meilleur espoir du secteur. Leurs principaux concurrents, les perfluorocarbones injectés, ne transportent pas autant d’oxygène et les techniques plus récentes, par exemple à base de cellules souches hématopoïétiques, sont encore à l’état embryonnaire.

Face à la critique, les entreprises montent au créneau. Biopure réfute l’article de JAMA en soulignant que ses auteurs ne sont pas seulement portés par un intérêt scientifique mais font de l’activisme : ils ont contacté les agences réglementaires de pays étrangers pour leur demander d’arrêter les essais cliniques de Hemopure. Northfield Labs, de son côté, défend son PolyHeme par la voix de Steven Gould, son CEO : « Les méta-analyses sont utiles pour poser des questions sur l’ensemble d’une classe de produits. Mais il est important de noter qu’elles ne peuvent pas donner une réponse à propos d’un produit spécifique ».

Les méta-analyses ont le vent en poupe, probablement à cause de la complexité des essais cliniques actuels. Ce sont elles qui ont récemment posé de gros problèmes à l’Avandia de GSK. Leur en fait-on trop dire ? Peut-être, mais le développement des substituts sanguins pâtit de cette mauvaise presse. Quant à la FDA, elle devra une fois de plus revoir sa copie.