L'autonomisation

Réadaptation

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L'autonomisation [empowerment] est un thème central et récurrent en réadaptation. Par exemple, au cours de la commémoration du 70e anniversaire de la Vocational Rehabilitation Act (VC Act) aux États-Unis, l'ancien commissaire à l'administration des services de réadaptation, Nell Carney, a insisté sur le fait que le « programme de réadaptation professionnelle couvre sept décennies d'espoir, de formation, d'emploi, de possibilités, d'indépendance et d'autonomisation pour les millions d'Américains ayant des incapacités » [italique ajouté] (1990, p. 6). De la même manière, l'objectif fondamental du programme Independent Living financé aux termes de la VC Act est défini comme le moyen de « maximiser le leadership, l'autonomisation, l'indépendance et la productivité des personnes ayant des incapacités » [italique ajouté] (Département de l'Éducation des États-Unis 2007, p. 43).

L'American Heritage Dictionary of the English Language (2000) définit le nom empowerment (autonomisation) comme « to invest with power » (octroyer le pouvoir). La note d'usage figurant dans cette entrée affirme ce qui suit à l'égard du mot empower:

Bien qu'il s'agisse d'un terme contemporain à la mode, le mot empower n'est pas récent, car il est apparu vers la moitié du 17e siècle en ayant le sens légaliste de « to invest with authority, authorize » [octroyer l'autorité, autoriser]. Peu après, on a commencé à l'utiliser avec un infinitif dans le sens plus général de « rendre apte ou permettre ». Ces deux usages ont survécu jusqu'à aujourd'hui, mais ils ont été surpassés par l'usage du mot dans le domaine de la politique et de la psychologie populaire. Son usage moderne a pris naissance avec le mouvement pour les droits civils qui cherchait à obtenir l'autonomisation politique [political empowerment] pour ses partisans. Le mot a ensuite été repris par le mouvement des femmes et son attrait n'a jamais faibli. Depuis que les personnes de toutes allégeances politiques ont besoin d'un terme permettant à leurs électeurs de se sentir maîtres de leur destin ou sur le point de l'être davantage, le mot empower [autonomisation] a été adopté par les conservateurs, de même que les réformistes sociaux. Son usage a même migré hors de l'arène politique vers d'autres domaines. (p. 586-587).

Cet « usage moderne » du terme « empower » dont a traité le comité sur l'usage de l'American Heritage Dictionary se rapporte au sens d'« octroyer le pouvoir ». Cet usage prévaut dans les disciplines universitaires liées aux mouvements sociaux, peut-être plus particulièrement dans les domaines des études sur la condition des personnes handicapées, de la psychologie communautaire et de la prévention sociale. Julian Rappaport, l'un des fondateurs de la discipline de la psychologie communautaire, a écrit en 1981 à propos de l'accent mis sur cette nouvelle discipline:

Être engagé dans un programme d'autonomisation sociale et s'y conformer dans le cadre d'une approche de la théorie des sciences sociales, de la recherche et de l'action, c'est aussi s'engager à identifier, à favoriser ou à créer des contextes dans lesquels les personnes jusqu'ici silencieuses et isolées et les personnes « étrangères » aux situations, aux organismes et aux communautés diverses, acquièrent une compréhension, un droit de parole et une influence sur les décisions qui touchent leurs vies (Rappaport 1981, p. 52).

Dans des écrits plus récents, John F. Kosciulek, psychologue de la Michigan State University qui introduisit la théorie de l'autonomisation axée sur les clients dans le domaine de la réadaptation, définit l'autonomisation comme:

... le processus par lequel les personnes devenues impuissantes ou marginalisées développent les compétences nécessaires pour prendre leur vie et leur environnement en main (Kosciulek 1999, p. 197).

Comme tout premier objectif de base au sein du mouvement de défense des droits des personnes ayant des incapacités, la notion d'autonomisation est ancrée dans des questions relatives à l'obtention d'un plus grand pouvoir et d'une plus grande maîtrise de leur vie. Kosciulek remarque encore une fois:

... une croyance de plus en plus répandue a émergé dans les dernières années selon laquelle les clients de services de réadaptation devraient avoir plus de pouvoir sur les services qu'ils reçoivent et, ce faisant, prendre ou reprendre en main leur vie (Kosciulek 1999, p. 198).

Au sein du mouvement de défense des personnes ayant des incapacités, l'autonomisation est utilisée pour refléter une compréhension modifiée de la personne et de sa place dans la société, un accent privilégié par le fait que la science et la société adoptent, quoique ce soit de manière progressive, des moyens de comprendre le handicap lui-même qui met l'accent sur le rôle que l'environnement et le contexte jouent dans la conceptualisation de la signification même du handicap. Pour une bonne partie de l'histoire, le handicap a été compris de manière négative; comme une pathologie, une aberration, quelque chose d'inhabituel. Les personnes ayant des incapacités elles-mêmes étaient perçues comme, en quelque sorte, malades, endommagées ou ayant besoin d'être réparées. Vers la fin du 20e siècle, ces conceptualisations ont commencé à être remplacées par des modes de pensée mettant l'accent sur le handicap en tant que fonction de l'interaction entre la capacité de la personne et le contexte dans lequel elle vit, étudie, travaille et s'amuse. Le modèle fonctionnel du handicap le plus visible, la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l'Organisation mondiale de la Santé, est un modèle biopsychosocial du handicap dans lequel le handicap et le fonctionnement sont vus comme le résultat des interactions entre les problèmes de santé (maladies, troubles et blessures) et les facteurs contextuels. Ces facteurs contextuels comprennent les facteurs environnementaux et personnels. La CIF propose trois niveaux du fonctionnement humain sur lesquels les problèmes de santé et les facteurs contextuels agissent: les fonctions organiques et les structures anatomiques se rapportant aux fonctions physiologiques des systèmes organiques et les parties du corps, comme les organes et les membres; les activités, ou l'exécution de tâches ou d'actions par une personne, et la participation, se rapportant au fait de prendre part à une situation de vie réelle. Les répercussions des problèmes de santé et des facteurs contextuels sur les fonctions organiques et les structures anatomiques peuvent occasionner des déficiences, que l'on définit comme des problèmes dans la fonction organique ou la structure anatomique, alors que les répercussions sur les facteurs liés aux activités et à la participation peuvent occasionner des limitations d'activité ou des restrictions de participation. L'élément central de la CIF est le concept selon lequel le handicap est une fonction issue de la relation ou de la compatibilité entre la personne, son problème de santé et son contexte social.

En définissant le handicap comme une fonction de l'interaction réciproque entre l'environnement et les limitations fonctionnelles de la personne comme le fait la CIF, l'accent sur le « problème » passe du déficit intrinsèque à la personne à la relation entre le fonctionnement de la personne et son environnement et, en conséquence, à la détermination et la conception de systèmes de soutien pour aborder le fonctionnement de la personne au sein de ce contexte. L'accent mis sur l'autonomisation devient donc plus pertinent, car la responsabilité de favoriser le fonctionnement optimal passe, en quelque sorte, de la seule et unique responsabilité de la personne vers une plus grande importance accordée à l'adaptation de son environnement ou du contexte dans lequel cette personne doit fonctionner. Ce principe est réalisé par le biais d'initiatives stratégiques et législatives, de modifications aux tâches que la personne doit accomplir et par l'adaptation de l'environnement afin d'assurer à la personne l'accès à la technologie et favoriser son utilisation pour atténuer les restrictions induites par son incapacité, et ainsi de suite.

L'adoption d'une approche d'autonomisation crée une impasse pour beaucoup de professionnels de la réadaptation. Ce problème vient du fait que toute compréhension du sens « octroyer le pouvoir » de l'autonomisation comporte, à la base, le principe qu'une personne qui détient le pouvoir est aussi libre de l'« octroyer » à quelqu'un d'autre (ou non). Lorsque l'on détient le pouvoir d'octroyer le pouvoir ou le contrôle à une autre personne, on détient également le pouvoir, manifestement, de le lui enlever. Le pouvoir et le contrôle restent ceux de l'octroyeur dans ce cas (Wehmeyer 2004). L'autre sens du mot empowerment [autonomisation] offert par l'American Heritage Dictionary, « habiliter ou permettre », guide probablement une compréhension de l'autonomisation qui va à l'encontre des difficultés du problème d' « octroyer le pouvoir » et saisit le concept tel qu'il est compris par le mouvement d'entraide des personnes ayant des incapacités dans la défense de leurs droits. La première partie de la définition, la notion de « permission », présente les mêmes problèmes inhérents à la définition d' « octroi du pouvoir ». C'est le second sens, la notion de rendre apte ou d'habilitation, qui fournit aux professionnels de la réadaptation les moyens d'adopter une approche de la prestation de services et de soutien qui présente réellement un accent mis sur l'autonomisation. « Habiliter » signifie « donner les moyens, les connaissances et les possibilités de faire quelque chose; rendre possible, faire que quelque chose soit réalisable » (NDT : traduction des extraits de l'American Heritage Dictionary).

Donc, le moyen de sortir de l'impasse de l'« octroi du pouvoir » passe par le déploiement d'efforts pour habiliter les personnes ayant des incapacités à devenir maîtres de leur vie et, en fonction de ces mesures, à devenir autonomes dans la réalisation de ce contrôle dans une plus large mesure. Pour les professionnels de la réadaptation, la route menant à l'« habilitation » est atteinte en offrant des possibilités et du soutien qui favorisent et améliorent l'auto-détermination des personnes ayant des incapacités, mettant ainsi l'accent sur le choix et le contrôle, et qui engagent ces dernières dans le rôle d'agent agissant sur les circonstances de leur vie (Wehmeyer 2005). (Pour plus de détails, voir l'article à propos de l'autodétermination de l'encyclopédie.)

S'inspirant des travaux d'Emener (1991), Kosciulek a établi quatre « principes philosophiques » qui s'avèrent nécessaires dans une approche en matière d'autonomisation de la réadaptation:

  1. Toute personne a son importance et sa dignité.
  2. Toute personne devrait avoir droit à des chances égales de maximiser ses capacités et mérite l'assistance de la société afin d'y arriver.
  3. De manière générale, les personnes luttent afin de s'épanouir et d'infléchir positivement l'orientation des changements dans leur vie.
  4. Les personnes devraient pouvoir décider librement de gérer leur vie comme elles l'entendent.

Les thèmes sur lesquels repose une approche en matière d'autonomisation de la réadaptation comprennent la supervision du client, la participation à la planification et à la prise de décisions relatives à l'habilitation, le choix des possibilités, un accent mis sur les préférences personnelles et l'application de stratégies de discipline personnelle et de gestion de soi. Parmi les exemples d'exploitation de ces thèmes aux États-Unis se trouvent le déploiement d'efforts visant l'accroissement de la supervision des clients dans la planification personnalisée menant à l'établissement de plans en matière d'emploi (Wehmeyer et coll. 2003), à la collecte de fonds par les clients pour assurer le financement des programmes de réadaptation (Hardina 2003), ainsi qu'à l'introduction d'un langage propre au libre choix et à l'autodétermination dans le processus de réitération d'autorisations de la loi sur la réadaptation. À ce titre, on pouvait lire à propos de la nouvelle autorisation de 1992 dans les constatations du Congrès [article 2 (29 USC. 701)] que:

1. des millions d'Américains vivent avec une ou plus d'une déficience physique ou mentale et que le nombre d'Américains ayant des incapacités est à la hausse;
2. les personnes ayant des incapacités constituent l'un des groupes les plus désavantagés de la société;
3. l'incapacité fait naturellement partie de l'expérience humaine et ne diminue en rien le droit des personnes de:

  1. vivre de façon autonome;
  2. profiter de leur autodétermination;
  3. effectuer des choix;
  4. participer à la société;
  5. poursuivre des carrières intéressantes; et,
  6. jouir de l'intégration totale au sein de la vie économique, politique, sociale, culturelle et éducationnelle de la société américaine;

et

6. les objectifs nationaux englobent également l'objectif de fournir aux personnes ayant des incapacités des outils nécessaire pour:

  1. effectuer des choix et prendre des décisions éclairées; et pour réaliser l'égalité des chances, l'intégration totale à la société et au marché de l'emploi, l'autonomie économique et sociale.

Les modifications de 1998 à la State Vocational Rehabilitation Services Program Act ont permis de renforcer et de souligner la centralité du choix éclairé dans le processus de réadaptation.

La théorie de l'autonomisation dirigée par la clientèle (Kosciulek 1999, 2005; Kosciulek et Merz 2001) tente de modéliser ces thèmes de manière à extraire les variables menant à l'autonomisation et, au-delà de l'autonomisation, à l'amélioration de la qualité de vie. Cette théorie repose sur la proposition selon laquelle « une supervision accrue du client dans la formulation des politiques relatives aux personnes ayant des incapacités et la prestation des services de réadaptation entraineront une meilleure intégration au sein de la communauté, l'autonomisation et une meilleure qualité de vie chez les personnes ayant des incapacités » (Kosciulek 2005, p. 41). Le modèle structural de la théorie, évalué à plusieurs reprises (Kosciulek 2005; Kosciulek and Merz 2001), laisse entendre que la supervision de la clientèle (des services à la clientèle supervisés, une vaste gamme de choix de services, une prestation d'information et de soutien adéquate et une participation active à l'élaboration des politiques) entraine l'amélioration de l'intégration communautaire (domicile/famille, sociale/loisirs, activité productive/travail), et que la supervision de la clientèle et l'intégration communautaire mènent toutes deux à l'autonomisation, qui permet à son tour une amélioration de la qualité de vie.

Il est intéressant de constater que Kosciulek conçoit l'autonomisation selon deux cadres différents: un cadre interne ou psychologique et un cadre contextuel ou social. Les éléments psychologiques de sa théorie comprennent les sentiments d'aptitude, de confiance, de responsabilité, un désir de participer aux interactions avec autrui tributaire à la réalisation des objectifs choisis, ainsi qu'un point de contrôle interne. Un intérêt dans la planification de l'avenir, la capacité et les compétences pour recourir à des mesures d'adaptation au besoin, l'initiative de prendre en main l'élaboration et le suivi des plans et un désir de recourir aux technologies d'adaptation au besoin sont aussi des éléments importants. Les éléments contextuels de l'autonomisation comprennent la possession de compétences pour interagir efficacement avec autrui, organiser, planifier, prendre des décisions et superviser les ressources, ou l'occasion d'apprendre de telles compétences. De plus, les éléments environnementaux tels que la mobilité permettant d'interagir avec la communauté, d'accéder à l'information, de bénéficier de conditions de vie acceptables, de soutien social et d'un statut social respectable sont également des éléments importants de l'autonomisation. Les compétences requises peuvent être acquises par la personne ayant des incapacités, mais elle n'est pas en mesure de contrôler entièrement ses conditions de vie et ses conditions sociales, faisant donc en sorte qu'elle doive prendre des mesures pour créer le changement. Dans cette perspective, les « compétences » possiblement les plus importantes qu'une personne puisse acquérir sont liées à sa capacité d'être le catalyseur du changement dans la société, l'environnement ou le contexte dans lequel elle doit fonctionner.

Les groupes d'entraide et favorisant l'autonomie sociale qui sont dirigés par des personnes ayant des incapacités dans le but de les aider à réaliser leurs objectifs personnels et ceux du groupe améliorent souvent l'autonomisation sur les plans individuel et collectif. L'aspect contextuel de l'autonomisation de nombreuses personnes ayant des incapacités s'améliore grâce à des lois comme la Americans with Disabilities Act (ADA) et autres lois semblables en matière de droits de la personne, offrant ainsi une vaste protection aux personnes ayant des incapacités dans les secteurs de l'éducation, de l'emploi, des services publics, des mesures d'adaptation publiques, du transport et des télécommunications; interdisant toute forme de discrimination dans les programmes, les activités et les services des États et des autorités locales.

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